Construire une stratégie nationale de recherche devrait être l'objectif de chaque gouvernement africain. Certains ouvrent déjà la voie.
Les résultats partiels d'une enquête consacrée aux jeunes chercheurs africains du monde entier ont montré que l'insatisfaction vis-à-vis de la qualité des infrastructures et vis-à-vis du manque de soutien à la recherche entrave l'expression de leur potentiel sur le continent. Présentés par Tolu Oni, co-présidente de la Global Young Academy, lors de la conférence Young African Scientists in Europe/Jeunes chercheurs africains en Europe (YASE) à Toulouse le 6 juillet 2018, ces résultats indiquent aussi que la principale préoccupation des chercheurs africains quant à leur avenir est le manque de financement et de ressources.
« La science qui transforme le monde est un processus à long terme », a déclaré Quarraisha Abdool Karim, chercheuse de renommée mondiale sur le VIH, de l'Université Kwazulu Natal à Durban, en Afrique du Sud, lors de la session inaugurale de la conférence, où des intervenants et de jeunes scientifiques africains ont débattu de l'avenir de la recherche africaine. Elle a également souligné que l'avenir de l'Afrique est entre les mains des chercheurs du continent : « Nous devons être au premier rang de la recherche qui se fait en Afrique, surtout dans les domaines où elle affecte les Africains. »
Manque de stratégies
Entre le pessimisme associé aux mauvaises conditions socioéconomiques de l'Afrique et l'optimisme naïf et nébuleux qui prévaut dans nombre de conférences et de discussions de haut niveau sur l'avenir de l'Afrique, se cache la vérité : l'Afrique est un ensemble énorme et complexe de sociétés et de peuples, avec quelques défis communs et des possibilités presque infinies de croissance économique et de développement social. Pour passer de cette prise de conscience à l'action face à la multitude de défis en constante évolution, il faut une vision, un engagement et un travail acharné de la part des chercheurs, des gouvernements et des secteurs industriels de tout le continent, voire du monde entier.
Une session de la conférence YASE l'a montré : peu de pays africains disposent d'une stratégie de recherche formalisée au niveau national. L'Afrique du Sud et l'Égypte sont des exceptions notables.
Recherche et industrie
Le statu quo est bien illustré par la situation du Sénégal, décrite par Amadou Tidiane Ndiaye, chef de cabinet du ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Il a déploré que l'absence d'une politique de recherche nationale freine le pays. « Le Sénégal a besoin d'une approche systémique de la science et de la technologie pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés, a-t-il déclaré. Nous n'avons pas de politique de recherche, pas de budget dédié à la recherche. Il faut des échanges entre l'économie, la recherche et le gouvernement pour que cela devienne une réalité. »
Amr Adly, vice-ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique pour les Affaires Universitaires en Égypte, a déclaré que son pays a construit sa stratégie de recherche autour des besoins du pays et de l'importance de coopérer avec l'industrie. « Pour nous, l'idée de conjuguer l'impulsion de la recherche et les demandes de l'industrie est très importante, a-t-il dit. Nous fournissons un financement de démarrage pour les chercheurs s'ils répondent aux demandes de l'industrie. Nous leur donnons aussi des incitations financières s'ils publient leurs travaux à l'échelle internationale : cela encourage la recherche en tant qu'industrie en soi. » Selon lui, l'Égypte est prête à partager avec le reste de l'Afrique ce qu'elle a appris de ce point de vue, et à soutenir la coopération en matière de recherche en Afrique.
La plus grande ressource : les scientifiques
Quelque part entre ces deux exemples, Madagascar vient de commencer la mise en œuvre d'une stratégie de recherche intégrée. Selon Marie Monique Rasoazananera, ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, la nouvelle stratégie de recherche du pays se concentre sur la biodiversité, le changement climatique et les objectifs de développement durable. Madagascar met en place des plateformes pour aider les chercheurs et l'industrie à mieux travailler ensemble et pour soutenir l'innovation scientifique et l'esprit d'entreprise.
Tous les intervenants ont convenu que la meilleure ressource disponible pour les pays africains est leur population, en particulier les jeunes chercheurs motivés. Comme l'a dit M. M. Rasoazananera, « les scientifiques sont notre plus grande ressource ; nous devons réfléchir à la meilleure façon de les soutenir et de tirer le meilleur parti de leurs contributions. »
En conclusion de cette session, T. Oni a exhorté les participants : « N'attendez pas que les autres agissent. Chacun peut faire quelque chose pour faire avancer l'Afrique : développez vos compétences, examinez les opportunités de rendre visible ce que vous faites, construisez vos réseaux et aidez-vous les uns les autres à vous développer.» Ensemble, les gouvernements et les jeunes chercheurs peuvent élaborer une vision commune pour une Afrique prospère.
Paul Kennedy, Science Link