Par quel phénomènes historiques les langues bantoues se sont-elles répandues sur près de la moitié de l'Afrique? Une récente synthèse des connaissances linguistiques, archéologiques et génétiques, réalisée par Augustin Holl, de l'université Xiamen, en Chine, répond à la question.
Pourquoi les historiens et les archéologues s’intéressent-ils aux langues bantoues ?
Un challenge des sciences historiques aujourd’hui est de comprendre l’origine de la structure des populations actuelles. Et les langues bantoues sont la famille de langues la plus fournie. On en recense de la frontière Nigéria-Cameroun jusqu’à la pointe de l’Afrique du Sud. Selon les décomptes, il y a entre 800 et 1 000 langues appartenant à la famille bantoue. Parmi les plus importantes il y a le sotho, le xhosa en Afrique du Sud, le zoulou, le lingala, toutes les langues du Kenya et ainsi de suite. Le sujet est donc important pour nos recherches.
Vous proposez une nouvelle synthèse de l’expansion bantoue. Grâce à quelles avancées cela est-il possible ?
Grâce à la génomique notamment. Auparavant, seuls les linguistes reconstituaient l’évolution des langues bantoues. Une hypothèse plausible était qu'elles se soient diffusées sans expansion des locuteurs. Comme, par exemple, en Afrique l’on parle beaucoup le français alors qu'il n'y a pas eu une installation massive de personnes originaires de France. Grâce à l’ADN, ce scénario a été écarté. Nous avons en effet montré que les locuteurs de langues bantoues sont apparentés génétiquement. Nous savons donc que leurs ancêtres se sont diffusés progressivement en Afrique, et que les langues se sont diversifiées.
Est-ce que grâce à cela l’on connaît le point de départ de cette expansion bantoue ?
Les travaux de différents chercheurs montrent que le berceau des locuteurs de langues bantoues se trouve dans la zone frontière Nigeria Cameroun. C’est dans cette région que les plus anciennes langues bantoues ont été retrouvées. Si l’on prend le temps long, pendant la dernière période glaciaire (il y a entre 21 000 et 12 000 ans), le Sahara s’est complètement vidé de sa population. Il y a des données objectives que cette zone frontière était un refuge de populations. Les Bantous étaient des agriculteurs, originaires du sud de la forêt équatoriale. Ils ont dû se déplacer plus près des côtes, pour avoir accès aux plaines herbeuses et ainsi recommencer la culture, devenue impossible chez eux. C’est de cette zone refuge que l’Afrique s’est recolonisée et que l’expansion bantoue a véritablement démarré.
Comment les récentes recherches expliquent-elles que les Bantous se soient étendus de la sorte ?
Le modèle de l’agriculture et la démographie sont le moteur de l’expansion. Ils utilisaient le feu pour la préparation des champs, ils cultivaient sans y mettre de fertilisants artificiels. Une communauté s’installe, et ces champs sont autour du village. Au bout de trois ou quatre années de récoltes, les champs sont épuisés et doivent être mis en jachère. Quand ce premier anneau de champs est épuisé, on défriche des parcelles plus éloignées. Mais au bout d’un certain seuil, si la démographie a continué à croître, il y a scission dans la communauté parce que les champs ne sont plus suffisants. Un autre village se crée à une certaine distance. On recommence le même processus avec un premier anneau de champ, qu’on étend. Mais ce n’est pas un processus linéaire. Pour diverses raisons, climatiques notamment, il peut y avoir des retours en arrière. On a par exemple retrouvé des langues plus récentes au Gabon. L’expansion bantoue va donc un petit peu dans tous les sens, mais le mouvement général est clairement en direction du sud et de l’ouest.
Propos recueillis par Anthony Audureau
Archéologie des migrations, D. Garcia et H. le Bras (dir.), La Découverte / INRAP, 2017.