Les modes particuliers de transmission des connaissances chez les Bakas, chasseurs-cueilleurs d'Afrique centrale, vont disparaître. Le Lauréat du prix Leroi-Gourhan en 2015, Jean-Pierre Nguede Ngono, anthropologue à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, appelle à l'archivage de ces savoirs.
Pourquoi étudiez-vous la transmission des savoirs des pygmées Bakas du Cameroun et du Gabon ?
Avant toute chose il faut savoir que l’on ne dit pas pygmées, car cela est considéré comme péjoratif. J’étudie la transmission des savoirs au sein de cette culture car elle est menacée. Par l’invasion du numérique, d’internet, de la scolarisation, mais aussi des ONG qui poussent les Bakas vers une éducation moderne, avec le soutien de la communauté internationale. Pour ces raisons, la transmission des savoirs bakas, qui concerne 40 000 personnes, pourrait bientôt disparaître. C’est un gâchis.
Sur quoi ces savoirs menacés portent-ils?
Il y a la chasse, réservée aux initiés, la cueillette, et l’initiation aux rites religieux. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que la transmission des savoirs est très cloisonnée. Seules quelques personnes peuvent jouer le rôle de professeur : la matrone (ou sage-femme), le vieux sage et le médecin traditionnel. Mais aussi les enfants.
Les enfants transmettent eux-même du savoir ?
Oui car les activités chez les Bakas sont catégorisées. Les hommes ont leurs propres rites religieux, tout comme les femmes. Leurs chasses également. Il en va de même pour les enfants, qui pratiquent une chasse infantile. C’est un savoir particulier que l’on se transmet entre enfants. Lorsque l’on a dépassé l’âge, on oublie. Les adultes ne peuvent pas se souvenir des mécanismes, des techniques de cette chasse particulière.
Y a-t-il une solution envisageable selon vous pour conserver la transmission des savoirs bakas ?
Le mode de transmission des savoirs bakas ne peut pas perdurer. Aujourd’hui, ils arrivent à conserver leur mode de transmission parce qu’ils ne veulent pas intégrer la modernité. Mais la réforme de 1994 a donné la propriété de la forêt aux exploitants forestiers, ce qui a obligé les Bakas à se sédentariser. La forêt n’est plus à eux. Ils ne peuvent plus chasser non plus, car c'est considéré comme du braconnage. Il faut donc au moins un programme d’archivage de ce savoir et de leur mode de transmission pour les générations futures.
Propos recueillis par Anthony Audureau
Visionnez la conférence de Jean-Pierre Nguede Ngono lors du colloque international Transmettre les savoirs : Archéologie des apprentissages, organisé par l'Inrap et la Cité des sciences et de l'industrie, sous la direction scientifique de Patrick Pion, Inrap, et de Nathan Schlanger, École nationale des chartes, les 28 et 29 novembre 2017 à l'auditorium de la Cité des sciences et de l’industrie, Paris, France.