Le déploiement des nouvelles technologies pour l'éducation en Afrique est ancien. Mais il manque de politiques concertées.
Cette période de confinement m’a donné l'occasion de participer à plusieurs webinaires et de découvrir des ressources intéressantes. J’ai ainsi assisté à un webinaire organisé par l’Union Africaine (UA) sur l’éducation en Afrique face à la crise, au weblive sur le Numérique comme réponse à la crise organisé par La Tribune Afrique et l'agence conseil 35°Nord, en partenariat avec Huawei, et je suis intervenue dans un live débat organisé par les Ishango live days sur « les innovations pour une éducation du futur en RDC ».
Lecture de rapports
Pour la journée Mondiale de l’Afrique le 25 mai dernier, j’ai découvert l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Et comme la Banque Mondiale prépare un rapport sur le numérique en RDC avec des propositions concrètes à faire au Gouvernement, je me suis plongée dans la lecture du rapport Le numérique au service de l’éducation en Afrique produit par l’Agence Française de Développement, l’Agence universitaire de la francophonie, Orange et l’UNESCO.
Il date de 2015. En matière de numérique, 5 ans paraissent comme une éternité, mais quand il s’agit de numérique au service de l’éducation en Afrique subsaharienne, ce rapport reste criant d’actualité.
L'importance des TICE
En matière de Technologies de l’Information et de la Communication pour l’éducation (TICE), tout le monde s’accorde sur 3 points :
- elles permettent d’accéder à des ressources pédagogiques à bas prix ;
- elles apportent une plus-value par rapport à l’enseignement traditionnel ;
- elles sont une solution complémentaire pour la formation des enseignants.
L’incroyable taux de pénétration de la téléphonie mobile en Afrique serait un facteur favorable à leur intégration. Sur le site d’Orange Developer, on peut lire qu’en 2019, l’Afrique se positionnait comme un continent avec un des taux d’utilisation du mobile les plus forts (presque 80%).
Le risque du repli
Seulement, il faut bien le dire, ces technologies font encore peur. Nous avons peur de perdre nos statuts et avantages. Nous avons peur des inégalités (comme si nos sociétés étaient des modèles d’égalité).
Nous craignons un enseignement à plusieurs vitesses. Et quand on a peur, le premier réflexe est le repli vers le connu : une classe, quatre murs, un toit, des bancs, un tableau noir, un enseignant, des élèves (sages), des manuels papier et tous frais payés par l’État! J’ai trouvé intéressant de partager ici quelques informations pour alimenter le débat.
Depuis les années 1960
Dans le rapport sur Le numérique au service de l’éducation en Afrique, on découvre une ligne du temps fascinante, l’histoire de l’intégration des TICE en Afrique subsaharienne. L'aventure des TICE commence sur notre continent dans les années 1960 pour augmenter l’accès à l’éducation, améliorer sa qualité et son équité. Les premières technologies qui furent utilisées sont la télévision et la radio dans un objectif de massification de l’enseignement.
Le président de la Banque Mondiale de l’époque, Robert Mac-Namara, disait en 1968 : « Nous devons, en raison de la terrible et croissante pénurie d’enseignants qualifiés dans les pays en développement, trouver les moyens de rendre plus efficaces les bons enseignants. Cela supposera pour atteindre les objectifs de l’éducation un investissement en manuels, en équipements audiovisuels et surtout en technologie moderne de télécommunication (radio, film, TV, etc.). »
L'efficacité des programmes radio et télé
Si l’impact sur les performances scolaires reste méconnu, les évaluations ont montré que ces dispositifs de radio et télévision scolaires ont bien aidé à former un grand nombre de maîtres du primaire et ont eu un impact positif sur l’éducation des filles. Jusque dans les années 1980, les Programmes d’enseignement télévisé (PETV) ont permis d’augmenter le taux de scolarisation, de réduire les taux de redoublement et les enfants avaient acquis une meilleure maitrise orale du français dans les zones où ces programmes étaient testés.
L'arrivée de l'informatique
Dans les années 1990 et 2000, c'est la vague des équipements des écoles en matériel informatique. La salle informatique fait son entrée dans les écoles africaines.
C’est la période de familiarisation à l’utilisation des outils informatiques et numériques dans un cadre collectif. Qu’il s’agisse d’initiatives personnelles, d’ONG, d’agences de coopération ou de développement, tout le monde veut équiper les écoles en Afrique en matériel informatique.
Manque de stratégie
Malheureusement, ces nombreuses initiatives ne s’intègrent pas dans de véritables stratégies nationales en matière de TICE. Ces actions pour la plupart philanthropiques ont néanmoins renforcé l’équité d’accès à l’équipement informatique pour les élèves et les enseignants.
À partir de 2000, l’apparition de l'ordinateur individuel permet de passer à l’individualisation des pratiques informatiques avec des projets comme « un enfant, un ordinateur ». Cette individualisation ouvre des nouvelles possibilités.
Approche centrée sur les contenus
Il ne s’agit plus seulement de se familiariser avec les outils technologiques, on veut maintenant pouvoir utiliser les TICE en complément aux apprentissages classiques. Il y a un changement de paradigme. D’une approche centrée sur l’outil, nous passons à une approche centrée sur les contenus et les usages.
Le taux de pénétration du mobile en Afrique est favorable à ce changement. À partir de 2010, le continent développe le m-learning (mobile education) avec l’apparition des tablettes et du téléphone mobile.
Tablettes et téléphones
La tablette est bien plus pratique que l’ordinateur. D’abord, elles sont relativement moins chères et moins gourmandes en énergie (on peut les charger à l’énergie solaire).
Ensuite, il ne faut que quelques heures à un élève pour se l’approprier, alors que l’ordinateur exige une plus longue formation. Quant au téléphone mobile, il s’est plus vite diffusé en Afrique.
Tableau interactif
Une autre technologie fait son apparition dans les années 2010 dans les écoles africaines, c'est le Tableau Blanc Interactif (TBI). « Le tableau blanc interactif (TBI), également appelé tableau numérique interactif (TNI) ou tableau pédagogique interactif (TPI) est un tableau sur lequel il est possible d'afficher l'écran d'un ordinateur grâce à un projecteur et le contrôler directement du tableau à l'aide d'un crayon-souris, et pour certains types de tableaux, avec les doigts. Il existe aussi les TBI mobiles, facilement transportables. » (Wikipedia)
Coexistence des technologies
Ce qui est intéressant, c'est que ces différentes phases coexistent dans le temps et l’espace sur le continent africain, comme à l’intérieur d’un même pays. Vous trouverez ainsi dans une ville africaine une école où les élèves ont chacun une tablette à leur disposition et suivent les cours en ligne, alors qu’à seulement 20 km de là, on doit envisager de donner des cours à la radio pour pallier la fermeture des écoles parce qu’il n’y a aucun autre dispositif possible!
Modèles complémentaires
Ce sont ainsi des modèles technologiques complémentaires que les pays africains devraient développer dans leur stratégie nationale en matière de TICE : des cours en fichier audio et vidéo sur support CD/DVD/Clé USD, des plateformes Internet adaptables aussi à de faibles bandes passantes, de courtes vidéos éducatives diffusées à la TV, de courtes leçons diffusées sur les radios communautaires, publiées dans les journaux locaux et envoyées par téléphone, des serveur locaux qui partagent des contenus sans Internet et des imprimés. On parle alors d’hybridation (pensée, assumée et pas subie) des modèles pédagogiques et des outils pour une meilleure intégration des TICE.
Le cas de la R. D. Congo
Prenons le cas de la R. D. Congo. Au sein la Direction des Programmes Scolaires et du Matériel Didactique (DIPROMAD) du Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (EPST), il y a une radio-télévision scolaire équipée ces dernières années pour produire des contenus pédagogiques numérisés. Le Ministère de l’EPST s’est en plus doté en 2018 d’une chaîne de télévision moderne entièrement dédiée à l’éducation, EDUC TV, accessible via le canal 13 de la télévision numérique terrestre (TNT).
Centres de ressources éducationnelles
Depuis 2015, le Ministère de l’EPST via le Projet de Soutien à l’Éducation de Base (PROSEB) s'est doté de 35 centres de ressources éducationnelles (CRE) dans ces régions que l’on appelle le Grand Equateur et le Grand Kasaï, disposant de matériel informatique (ordinateurs portables, un serveur, un routeur WIFI, un projecteur, un écran, une imprimante multifonction (scanner, photocopieur). Les CRE sont des lieux de formation, de documentation et de travail personnel pour les enseignants. Ils sont équipés d’antennes VSAT et de panneaux solaires.
Les contenus des serveurs locaux (des modules de formations numérisés) doivent être mis à jour par synchronisation avec le serveur national situé à Kinshasa.
Accès des écoles au réseau
En 2018, le Projet d’Éducation pour la Qualité et la Pertinence des Enseignements aux niveaux Secondaire et Universitaire (PEQPESU) a procédé à la géolocalisation d’environ 82% des écoles secondaires, soit 25 116 écoles sur l’ensemble du territoire de la RDC avec 44 superviseurs nationaux, 398 enquêteurs provinciaux et 420 tablettes équipées d’un logiciel gratuit et open source.
Le rapport de cette géolocalisation indique que 82% des écoles secondaires géolocalisées ont accès à un ou plusieurs réseaux mobiles.
Phase pilote
Début 2020, le PEQPESU a lancé la phase test (dans 20 écoles pilotes réparties dans 6 provinces du pays) du système Math Whizz. Math Whizz est un système intelligent qui permet d’évaluer le niveau des élèves de 1ère secondaire (7e année de l’Éducation de Base) en mathématiques afin de leur proposer des séquences didactiques personnalisées pour les faire progresser à leur rythme.
Les écoles pilotes ont été équipées en ordinateurs, un TBI, accès à Internet et à l'énergie. Avec la récente fermeture des écoles, le PEQPESU va donner accès à la plateforme Math Whizz aux parents, élèves et enseignants qui volontairement sont prêts à continuer la phase pilote à partir de la maison avec leur propre dispositif. Ce travail est réalisé avec la société Whizz Education.
Déploiement
L’année scolaire prochaine (2020-2021), Le PEQPESU va installer dans 540 écoles secondaires des salles informatiques. Ce projet finance également l’interconnexion des universités et instituts supérieurs du pays.
Et je précise que le Ministère de l’EPST possède son propre site Internet, un compte Facebook (22k mentions J’aime), un compte Twitter (5,6k Abonnés) et une chaîne YouTube, Educ TV Officiel, (1,09k Abonnés).
Obstacles diversifiés
Ces 15 dernières années, nous avons ainsi mis à l'essai plusieurs projets intéressants (je n’en ai cité ici que quelques-uns). Pourtant, nous avons toujours autant de difficultés à passer à l’échelle.
Pourquoi ? Parce que des obstacles de nature pédagogique, économique, technique, infrastructurelle et institutionnelle restent à dépasser pour que les TICE soient un véritable levier de développement pour la RDC et l’Afrique. En vérité, l’intégration des TICE ne dépend pas tant des avancées technologiques que de l’appropriation de ces technologies par les usagers !
Compétences des enseignants
Prenons le cas des enseignants. Pour que ça marche, nos enseignants doivent aujourd’hui non seulement avoir les compétences pour utiliser les TICE, mais également pour créer des contenus locaux et les partager. L’enjeu est ainsi d’adapter les technologies et le contenu pédagogique aux besoins des enseignants et des élèves et aux spécificités locales.
A ce propos, je vous invite à découvrir l’excellent travail fait par mon amie, Arielle Kitio, Ambassadrice du Next Einstein Forum pour le Cameroun (2017-2019), avec sa société CAYSTI. En RDC, nous avons aussi des solutions privées intéressantes. Il y a notamment SCHOOLAP qui va lancer dans quelques jours la première école congolaise virtuelle avec des contenus pédagogiques développés par des enseignants locaux, et ETEYELO avec sa solution KlasRoom qui est une plateforme d'e-learning qui permet aux professeurs de rester en interaction avec leurs élèves.
Coordination et cohérence
Pour conclure, comme le disent si bien les auteurs du rapport sur Le numérique au service de l’éducation en Afrique, la RDC comme les autres États africains, doit mettre en place un cadre macro-national qui permette aux différentes expériences et initiatives de se développer de manière coordonnée et cohérente.
L’État joue un rôle majeur comme moteur de l’intégration des TICE et comme facteur d’accélération de leur déploiement à l’échelle nationale. Mais, pour ce faire, il faut une montée en capacité des prestataires et des bénéficiaires des services.
« La richesse des nations modernes se mesure par la qualité de matière grise qu’elles sont à même de mobiliser », Prof. Dr. Ing. Félix Malu Wa Kalenga (1936-2011)
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