Au secondaire, il y a plus d'élèves en section scientifique qu'en section littéraire, mais globalement, les options choisies sont inadaptées aux besoins du marché du travail.
Notre exploration du système éducatif congolais a débuté avec les femmes dans les Sciences, Technologies, Ingénieries et Mathématiques (STEM en anglais). Nous avons eu ensuite un aperçu de l’offre éducative au secondaire dans ce pays. Je voudrais ici terminer cette « trilogie » avec le dernier opus, les choix des élèves (et de leurs parents).
Depuis que je me consacre à la promotion des STEM en République Démocratique du Congo, mon cheval de bataille a été l’augmentation du nombre d’élèves et d’étudiant(e)s dans ces filières. Dans l’enseignement supérieur et universitaire, c’est bien d’actualité. En Faculté Polytechnique de l’Université de Kinshasa, par exemple, il n’y sort qu’une cinquantaine d’ingénieurs par an.
Le Prof. Dr. Ir. Sandrine Mubenga, réagissant à cette information, me disait dans un moment de complicité qu’à l’université de Toledo aux USA où elle enseigne, c’est 200 ingénieurs par semestre qui sont diplômés ! Nous avons encore des efforts à fournir. Du côté de l’enseignement secondaire, il se pourrait que le problème ne soit pas tel que nous l’avions imaginé. Voyez vous-même !
Une enquête nationale
Les données présentées ici sont tirées de la géolocalisation des écoles secondaires réalisée entre octobre et novembre 2018 (année scolaire 2018-2019) par le Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel avec le Projet d’Éducation pour la Qualité et la Pertinence des Enseignements aux niveaux Secondaire et Universitaire (PEQPESU en sigle). Environ 80% des écoles secondaires ont été géolocalisées pour la distribution de 18 000 kits scientifiques en appui aux programmes de sciences et de mathématiques en cours de modernisation.
Chaque année à la Semaine de la Science et des Technologies, je demande à quelques élèves la branche dans laquelle ils/elles se trouvent. Lorsqu’ils/elles sont en 5e ou en 6e secondaire, je m’enquiers de ce qu’ils/elles feront après. Je sonde alors leurs yeux y cherchant la flamme qui trahirait une passion dévorante ou un choix dicté par la raison…
Nous avons géolocalisé 25 114 écoles secondaires réparties sur toute l’étendue de la République Démocratique du Congo. Environ 4 752 709 élèves y sont inscrits dont 42% au Cycle Terminal de l’Education de Base (CTEB), c’est-à-dire en 1ère et 2e années secondaire général. Voyez comment se répartissent les autres 58% dans les différentes sections :
Plus de scientifiques que de littéraires
Non, vous ne rêvez pas ! 16% des élèves du secondaire en R. D. Congo sont en section Scientifique ! Nos amis littéraires seront « verts de jalousie ou rouges de colère » en découvrant que leur section n’attire que 5% des élèves. Et c’est la section Pédagogie que j’ai abordée dans mon précédent article, qui se taille la part du lion avec 42% des élèves qui y sont inscrits. Incroyable !
Figurez-vous qu’en République Démocratique du Congo, cela fait « sérieux » pour une école de proposer la section Scientifique et pour un parent d’y inscrire son enfant. Cela relève du prestige. Et des deux options, Math-Physique et Bio-Chimie, la première est perçue comme « très sérieuse » (« Math-Physique, c’est pour les durs ») et la deuxième comme « plus abordable » si bien que c’est là qu’on y inscrit la grande majorité des « scientifiques en herbe ». Ou pas.
Car pourquoi, alors qu’ils sont si nombreux au secondaire, ne choisissent-ils/elles pas les filières STEM au supérieur ? S’agit-il réellement de la section qu’ils/elles auraient choisie si, par exemple, les autres n’avaient pas « mauvaise réputation » ? Ou encore, faut-il attendre de devenir un ingénieur pour être un bon mécanicien ou une bonne électricienne ?
L'enseignement technique et professionnel
Ceci nous amène à l’enseignement technique et professionnel qui regroupe 37,5% des élèves du secondaire ! Cet enseignement se subdivise en 5 sections : Technique, Technique Agricole, Technique Artistique, Technique Industrielle et Technique Professionnelle. Cette dernière dure 2 ans après le CTEB, les autres sont en 4 ans après le CTEB.
Kinshasa est la province championne de l’enseignement technique en termes de nombre d’élèves inscrits dans cette section. Mais, je choisis de vous présenter les données de la province du Kwilu, la 2e province de ce palmarès. Au Kwilu, sur 67 694 élèves inscrits en section Technique, 48% sont en option Coupe et Couture, contre seulement 7% en option Informatique ! Pour le développement socio-économique de la région, il se pourrait que d'autres orientations stratégiques soient nécessaires.
Décalages entre formations et besoins économiques
Je vous donne un exemple. La ville de Kikwit est une ville d’étape pour les commerçants qui se rendent ou viennent des Kasaï vers Kinshasa. Comment, dans ce contexte, expliquer qu’il n’y a que 0,1% des élèves dans la section Hôtellerie et Restauration ? Je ne suis pas une spécialiste de ce secteur, mais je crois qu'il y a là quelque chose à faire...
Passons à la section Technique Agricole et déplaçons-nous à l’Est du pays dans la province du Nord-Kivu, une de ces provinces greniers de la RDC. On y compte dans cette province 41.483 élèves inscrits dans cette section et qui se répartissent de la manière suivante:
Ici, je note qu’en Industrie Alimentaire, nous n’avons que 5% d’élèves inscrits et qu’en Mécanique Agricole, 0,02% ! Pour développer le tissu industriel de la région, il y a là des efforts à fournir.
Justement, parlons-en de la section Technique Industrielle et déplaçons-nous au Sud dans la province du Haut-Katanga. Nous avons 29 261 élèves inscrits en section Technique Industrielle. Avec seulement 0,1% inscrits dans l’option Aviation Civile, mon amie, Mamitsho Pontshi, copilote sur Airbus 320 chez Congo Airways, la compagnie nationale, peut encore attendre avant de crouler sous la relève. Et c’est incroyable qu’il n’y ait que 0,5% en Chimie Industrielle. Les applications y sont pourtant tellement intéressantes et créatrices de richesses.
Un criant manque d'équipement
Malheureusement, globalement, derrière ces belles enseignes, il y a beaucoup de misères. Les écoles ne sont pas équipées. Les bâtiments, s’ils existent, tombent en ruine. Les enseignants sont peu nombreux, mal formés et/ou mal payés. Les écoles qui offrent la section Pédagogie sont les plus nombreuses, parce que cette section ne demande pas autant d’investissement matériel que les sections Scientifique et Techniques. En section Littéraire, le manque de professeurs de latin, grec et philosophie explique probablement sa sous-représentativité.
Que faudrait-il pour changer ? Peut-être décréter « l’état d’urgence du secteur de l’éducation » comme le préconise l’économiste congolais Dandy Matata. En attendant, cela aiderait si les provinces se rappelaient que c’est à elles de développer, de réguler et d’améliorer l’offre éducative et les conditions d’apprentissages. Que le secteur privé sache que c’est avec lui que nous pouvons développer l’enseignement technique et professionnel. Que les parents prennent en compte le choix de leurs enfants.
Et que tous, nous nous souvenions que l’école est un membre à part entière de la communauté. Les savoirs endogènes et ancestraux participent à la formation de nos enfants au même titre que les savoirs savants.
Concernant la modernisation des programmes des filières scientifiques et techniques des secteurs dits prioritaires, l’agriculture, les industries extractives et les bâtiments et travaux publics, sachez que les Ministères concernés s’en occupent.
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