Raissa Malu

Et si nous le réactivions?

Pour les 60 ans de la mise en service du premier réacteur nucléaire africain (c’était le 6 juin 1959 en République Démocratique du Congo), je vous partage l’histoire du nucléaire en Afrique. Dans ce 3e épisode, je vous propose de prendre de la hauteur et d’embrasser l’ensemble du continent.

Pour commencer, revenons sur un acteur rencontré dans le premier épisode, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). Souvenez-vous : l’AIEA fut fondée en 1957 en réponse aux inquiétudes, mais aussi aux espoirs que cette nouvelle énergie, l’énergie atomique, suscitait. Dorénavant, il s’agirait de la promouvoir au service « de la paix, de la santé et de la prospérité dans le monde entier », et non plus (ou un peu moins) au service de la guerre et de la désolation.

Bien que la République Démocratique du Congo soit le premier pays africain à abriter un réacteur nucléaire, il n’a pas été le premier à adhérer à l’AIEA. C’est l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc, l’Éthiopie et la Tunisie qui furent les premiers membres africains de l’AIEA en 1957. Le Soudan adhéra en 1958 (il a eu son Indépendance en 1956). Le Ghana (indépendant en 1957) et le Sénégal (indépendant en 1960) adhérèrent en 1960. La République Démocratique du Congo et le Mali adhérèrent en 1961.

43 États sur 54

À ce jour, 43 États africains sur 54 ont adhéré à l’AIEA (je suis en général nulle en géographie, j’espère n’en avoir oublié aucun 😊). Les derniers dont l’adhésion a été approuvée par la Conférence générale de l’AIEA sont Djibouti (2015) et la Gambie (2016).

[Une parenthèse. Rien à voir avec l’Afrique, mais pour information, « la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a adhéré à l’AIEA en 1974 et s’en est retirée en 1994. » Je trouve que les responsables de l’AIEA ont un certain humour à le mentionner de la sorte sur leur site Internet. J’aurais rajouté un point d’exclamation, LOL ! Fermons la parenthèse.]

L'organisation de l'AIEA

L’AIEA possède deux organes directeurs, le Conseil des Gouverneurs et la Conférence générale annuelle des États membres de l’AIEA. Le Conseil des Gouverneurs examine notamment le programme et le budget de l'AIEA, les demandes d'adhésion, et nomme le Directeur général de l’AIEA, avec l’approbation de la Conférence générale.

Le Conseil n’est composé que de quelques États membres (il est renouvelé tous les deux ans). La République Démocratique du Congo a été représentée dans cet important organe de décision cinq fois entre 1963 et 1993. Le feu Prof. Dr Ir Félix Malu Wa Kalenga, Directeur du Centre Régional d’Études Nucléaires de Kinshasa et Commissaire Général à l’Énergie Atomique, représentait alors la République Démocratique du Congo en tant que son Gouverneur au sein du Conseil (Notre voix comptait alors ! 😉). Pour la période 2018-2019, parmi les 35 membres du Conseil des Gouverneurs (l’AIEA compte 171 membres), nous retrouvons l’Afrique du Sud (membre permanent au sein du Conseil), le Maroc, le Niger et le Soudan.

Le nucléaire électrique

Il n’est pas nécessaire de posséder un réacteur nucléaire pour devenir membre de l’AIEA et du Conseil. Non. À part la République Démocratique du Congo et son réacteur de recherche, nous avons l’Afrique du Sud qui possède une centrale nucléaire pour la production d’électricité (c’est le seul pays africain à maitriser à ce jour cette technologie) et des réacteurs dédiés à la recherche. L’Algérie, l’Égypte, la Libye et le Maroc sont les autres pays africains à posséder aussi des réacteurs nucléaires dédiés à la recherche et la production de radioisotopes.

Arrêtons-nous un moment sur le nucléaire électrique (le sujet qui fâche chez les écologistes). Selon l’AIEA, un tiers des 30 pays du monde qui envisagent aujourd’hui de passer au nucléaire sont africains ! « L’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Maroc, le Niger, le Nigéria et le Soudan se sont déjà engagés avec l’AIEA pour évaluer leur degré de compatibilité avec un programme nucléaire. L’Algérie, la Tunisie, l’Ouganda et la Zambie réfléchissent également à cette option ».

Mix énergétique

« Malheureux ! », diriez-vous. Pourtant. Développement et croissance socio-économique nécessitent un approvisionnement en énergie fiable et durable. Sur ce point, tout le monde est d’accord et l’équation n’est pas différente pour l’Afrique.

Mais quelle(s) énergie(s) ? Solaire, hydraulique, géothermique, fossile... ou toutes en même temps ! Mes amis, Sandrine Mubenga, ingénieure en électricité, et Fabrice Lusinde, Directeur Général Adjoint de la Société congolaise Nationale d’Électricité (SNEL), vous en parleraient en long et en large. Le problème se pose quand l’énergie disponible est non renouvelable (les combustibles fossiles), qu’elle est non fiable (délestage intempestif) et que son prix est trop élevé.

Les pays africains, dont les économies dépendent principalement de l’exploitation des matières premières, ont absolument besoin d’une électricité fiable et bon marché pour transformer sur place ces matières premières et rendre leurs produits compétitifs. Or, il se trouve que l’énergie nucléaire est propre (dans le sens où elle n’émet pas de carbone ou de pollutions de l’air), qu’elle est fiable et rentable. Cela dit, est-ce que les États africains sont prêts pour le nucléaire ?

Engagement à long terme

Avant même de parler d’investissement et de financement, selon l’AIEA, « un programme nucléaire réussi, nécessite un large soutien politique et populaire et un engagement national sur au moins 100 ans. » Je parie que vous avez ici éclaté de rire. Au moins 100 ans ! Si l’on se base sur l’histoire politique récente des pays africains, vous conviendrez que c’est beaucoup leur demander.

« Ben oui, répondrait l’AIEA. Quand on s’engage dans le nucléaire, c’est pour la vie et au-delà. » Cela demande dès le départ un engagement dans le cycle de vie complet d’une centrale électrique, de la construction à la production d’électricité et, enfin, au démantèlement. Et je ne vous parle même pas de la question de la gestion des déchets radioactifs produits dont la période d'observation convenue va de 10 ans à 100 000 ans !

Le nucléaire médical

Malgré tout cela, il se peut que nous n’ayons pas le choix. Le mix énergétique avec le nucléaire serait actuellement la solution la plus raisonnable pour développer nos nations. La bonne nouvelle est que nous avons la possibilité de développer des réseaux régionaux. Tout le monde ne doit pas forcément posséder sa propre centrale nucléaire. (L’époque des gros bras est dépassée. Si, si ! 😉)

Ce qui me permet de revenir en République Démocratique du Congo, au Centre Régional d’Études Nucléaires de Kinshasa (CREN-K) et à son réacteur. Ce dernier sert à produire des radioisotopes et permet diverses analyses. Le CREN-K forme également les chercheurs et le personnel qui manipule ces éléments, dont le personnel soignant des centres de radiothérapie.

Un réacteur à portée régionale

Récemment, l’AIEA twittait que d’ici 2030, il y aurait 1,4 million de cas de cancer supplémentaires en Afrique. L’installation de centres de radiothérapie, la production des radioisotopes et la formation du personnel médical deviennent vitales pour nos pays. Or, comme vous l’aurez compris, il n’est pas facile pour un pays d’avoir un réacteur nucléaire.

Pourtant, la demande en radioisotopes va augmenter en Afrique. La RDC en a déjà un, mais qui est à l’arrêt depuis 2004 pour cause de modernisation. Avec sa position géographique centrale, en développant les infrastructures (routières, Internet, électriques) et le transport aérien (avions, drones, etc.), en réactivant son réacteur, ce pays pourrait contribuer à sauver des millions de vies partout en Afrique. Imaginez-vous, la boucle serait bouclée.

Une question pour l'avenir

J’ai eu beaucoup de plaisir à vous raconter l’Histoire du Nucléaire en Afrique. Je l’aime particulièrement parce qu’elle nous rapproche. Elle implique 4 continents, l’Amérique, l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Elle relie des personnages tant qu’extraordinaires que célèbres, le Président américain Dwight D. Eisenhower, le Roi Baudoin de Belgique, les Présidents Kasa-Vubu et Mobutu, Monseigneur Luc Gillon, le Prof Félix Malu Wa Kalenga et tous ces Chefs d’État africain qui décidèrent au cinquième « sommet » de l’Organisation de l’Unité Africaine à Kinshasa en 1967 de faire du CREN-K un centre régional africain pour le bénéfice de tous.

Nous sommes une nouvelle génération de politiques et de scientifiques. Nous sommes liés au passé, nous vivons au présent et nous créons le futur. Quel futur choisissons-nous à présent pour nous, nos enfants, nos petits-enfants et leurs enfants ?

Science is fun, join us ! 😊

Ce billet a d'abord été publié sur LinkedIn.

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