Découvertes

La recherche nigériane en neurosciences sous le microscope

Yurchanka Siarhei/Shutterstock

Les études sur le cerveau sont pour une bonne part l'apanage des pays du Nord. Avant que l'Afrique y prenne sa juste part, un état des lieux est nécessaire.

Les chercheurs travaillent d'arrache-pied pour élucider les mystères complexes du cerveau humain et du système nerveux, ainsi que pour trouver des traitements pour des maladies du cerveau souvent incurables. Ces neuroscientifiques sont principalement basés en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et en Chine. Ainsi, la majeure partie de notre compréhension du cerveau vient des pays du Nord, avec seulement des contributions mineures de régions comme l'Afrique.

Cela ne veut pas dire que les neurosciences ne font pas l'objet de recherches sur le continent. Mais il existe d'énormes obstacles à l'innovation et à la production de résultats.

Équipements inadaptés

La plupart des universités n'ont pas d'équipement pour la recherche scientifique. Et là où la recherche se fait, elle se fait souvent à l'aide d'un équipement obsolète. Le manque d'électricité fiable sur de grandes étendues du continent est un autre problème. Il est donc difficile d'acquérir, d'utiliser ou de stocker des matériaux courants utilisés dans la recherche biomédicale, tels les anticorps et les échantillons de tissus.

Dans les neurosciences, un certain nombre de programmes locaux et internationaux tentent de combler ces lacunes. Par exemple, l'Organisation internationale de recherche sur le cerveau (International Brain Research Organization, IBRO) et la Société internationale de neurochimie (International Society for Neurochemistry) ont investi dans la formation de nombreux chercheurs en Afrique. Des organismes à but non lucratif comme Teaching and Research in Natural Sciences for Development in Africa et Seeding Labs ont contribué à la création de laboratoires dans certains pays africains. De tels efforts ont contribué à renforcer les compétences en neurosciences des chercheurs de nombreux pays africains.

Identifier les défis et les points forts

Mais cela n'a pas encore nivelé la différence de production scientifique entre les chercheurs en Afrique et ceux des pays du Nord. Peut-être que combler ce fossé et identifier des méthodes qui pourraient renforcer la capacité du continent en neurosciences nécessite plus de connaissances sur les défis auxquels les scientifiques sont confrontés dans les différents pays, ainsi que leurs points forts.

C'est dans cet esprit que mes collègues et moi-même avons entrepris d'examiner l'état des neurosciences nigérianes. En analysant plus de 1 200 publications en neurosciences extraites de PubMed, archive gratuite en texte intégral des revues biomédicales et des sciences de la vie, nous avons constaté que la recherche nigériane en neurosciences a ses propres forces et lacunes.

Modèles trop coûteux

Quelques laboratoires seulement utilisent des méthodes modernes. Les modèles de recherche utilisés sont coûteux et ne révèlent pas nécessairement beaucoup de choses, et il y a un décalage entre les résultats de la recherche et les soins éventuels aux patients. Cependant, le Nigeria compte de nombreux jeunes neuroscientifiques passionnés. Cela signifie que les années à venir pourraient être passionnantes pour les neurosciences au Nigeria - si des investissements appropriés sont faits.

Il n'y a jamais eu d'enquête approfondie de cette nature. Notre travail peut aider les scientifiques et les décideurs à prendre les bonnes décisions pour le paysage des neurosciences au Nigeria.

Le cas du Nigeria

Le Nigeria est le pays le plus peuplé d'Afrique. C'est aussi un point chaud pour la recherche en neurosciences, troisième derrière seulement l'Afrique du Sud et l'Égypte.

Voici quelques-uns de nos constats :

  • Les chercheurs nigérians ont tendance à ne pas utiliser des modèles abordables et puissants pour leurs recherches. Par exemple, bon nombre des études que nous avons examinées ont été menées sur des rats et des souris. C'est logique, au premier abord : ces espèces de rongeurs sont couramment utilisées en raison de leur constitution génétique similaire à celle de l'homme.

Mais cela coûte de l'argent d'entretenir des rongeurs. Et pour répondre aux questions de recherche sur les maladies humaines, ces rongeurs doivent être génétiquement modifiés pour avoir ces maladies, ou les imiter, ce qui les rend encore plus coûteux. Les modèles utilisés en neurosciences au Nigeria ne sont pas génétiquement modifiés.

Pas de méthodes de pointe

  • Seulement 8 % des études ont utilisé de nombreuses méthodes « avancées » qui sont facilement accessibles aux chercheurs hors d'Afrique, comme la réaction en chaîne de la polymérase (PCR) en temps réel, la fluorescence ou la microscopie électronique, entre autres.

Pour mettre cela en perspective, plus de la moitié des prix Nobel de physiologie ou de médecine remportés au cours des deux dernières décennies ont utilisé des modèles génétiquement modifiés et des techniques de recherche avancées. Ceci souligne l'importance d'utiliser des outils avancés et des modèles appropriés pour les grandes découvertes.

  • Les neurosciences nigérianes sont également coupables de sous-exploiter leurs forces. En Afrique, les plantes médicinales sont utilisées depuis des siècles pour traiter les maladies. Le Nigeria, avec ses riches ressources en plantes médicinales, pourrait devenir un leader dans le domaine de la découverte de médicaments.

41 % de toutes les publications nigérianes en neurosciences de base examinées dans notre étude visaient à établir l'utilité des plantes médicinales pour des applications médicales futures.

On s'attendrait à ce que certaines de ces plantes médicinales soient testées par la recherche clinique. Cependant, nous n'avons trouvé aucune étude clinique qui a utilisé les résultats de la recherche fondamentale ou qui a signalé les avantages ou la toxicité de l'utilisation répandue de ces plantes chez les humains. Ce décalage entre la recherche fondamentale et la recherche clinique peut avoir de nombreuses conséquences, comme la réduction de l'innovation locale en matière de santé.

  • Plus généralement, l'infrastructure et la formation doivent être correctement financées.

Solutions possibles

Il y a quelques mesures à prendre pour résoudre ces problèmes et mieux soutenir les neurosciences nigérianes.

Pour commencer, il est important que les chercheurs nigérians en neurosciences réalisent qu'il existe de nombreux modèles génétiquement acceptables pour leur travail. Ces modèles, parmi lesquels les mouches drosophiles, les poissons zèbres et les vers C. elegans, sont beaucoup moins coûteux que les rats et les souris.

Il faut investir de l'argent pour doter les laboratoires nigérians d'outils de recherche modernes afin de les rendre compétitifs au niveau mondial.

Former les chercheurs

Il faut investir davantage de temps et d'argent pour initier les scientifiques nigérians aux méthodes de recherche avancées. Cela améliorerait grandement la qualité du travail produit dans le pays et stimulerait l'innovation scientifique dans la recherche biomédicale en provenance d'Afrique.

Des programmes de recherche, des bourses et des récompenses doivent être mis en place pour encourager la collaboration entre les spécialistes des sciences fondamentales et les cliniciens. Cela contribuera à améliorer la pertinence de la recherche pour les soins aux patients et permettra de tester correctement la recherche fondamentale dans un environnement clinique.

Communiquer les résultats

Nous espérons également que nos conclusions encourageront un plus grand nombre de chercheurs et de sociétés scientifiques nigérians à s'engager dans la promotion de la science. Ils doivent présenter ce qu'ils font au public et aux décideurs, et expliquer pourquoi ils devraient être financés.

Au cours des prochains mois, nous effectuerons des recherches similaires sur d'autres pays africains afin de brosser un tableau plus complet de la situation. A partir de là, nous espérons identifier des solutions ciblées aux défis auxquels sont confrontés les chercheurs dans différentes parties du continent.

Mahmoud Bukar Maina, Université du Sussex, Royaume-Uni

Cet article a d'abord été publié sur The Conversation. Il a été traduit en français par Afriscitech.com

The Conversation

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